1. L’impasse économique

En mettant à nu la vanité du dogme de la croissance continue sensée profiter à tous, la crise économico-financière qui a éclaté à l’automne 2008 pourrait bien sonner à terme le glas du capitalisme occidental tel que nous le connaissons. Elle met aussi en lumière de graves dysfonctionnements de nature énergétique, politique, philosophique, alimentaire, humanitaire et écologique. D’un autre côté, la diminution générale des ressources pourrait constituer une opportunité d’inventer de nouveaux rapports économiques. Aussi, la crise générale de l’Occident ne manquera-t-elle pas d’affecter également nos systèmes de santé dont les coûts sont en passe de devenir insupportables alors que la croissance des besoins sanitaires semble illimitée.

Une profonde crise de la confiance dans les institutions financières constitue l’un des premiers effets notoires de cette crise. Nous percevons aussi que l’évolution démographique, la globalisation de l’économie et la dégradation des conditions de travail vont inévitablement compromettre le financement de nos dispositifs de prévoyance sociale. Il arrivera donc fatalement un jour où les Etats devront choisir entre payer les retraites ou financer les coûts de la santé. Le fossé croissant la logiques des moyens et celle des besoins pourrait toutefois augurer de la nécessaire émergence d’une autre manière de prendre soin.

Cette crise aux multiples aspects révélée par les aléas économico-financiers de l’automne 2008 peut fondamentalement être considérée comme une crise du sens. Quel sens donner en effet à nos existences, comment acquérir une bonne estime de soi et un sentiment d’accomplissement dès lors que le travail est en diminution ? D’un autre côté, beaucoup de patients et de soignants regrettent ensemble que le modèle biomédical de la médecine néglige la question du sens à attribuer aux problèmes de santé.

Incontestablement, les temps actuels requièrent l’émergence d’un autre paradigme - d’une autre représentation ou conscience de soi et du monde - pour sortir de l’impasse économique dans laquelle nous nous trouvons. Et dans la mesure où la santé est une partie constitutive du système économique, ce nouveau paradigme pourrait contribuer à favoriser la nécessaire évolution du modèle biomédical en vigueur en Occident.

2. L’impasse sanitaire

Comme le système économique, le modèle biomédical de la médecine se trouve dans une impasse pour différentes raisons.

  • Quand le modèle biomédical de la médecine se prévaut d’une approche « scientifique et objective », il se réfère au paradigme scientifique du 19ème siècle, aujourd’hui dépassé. En se concentrant sur le fonctionnement mécanistique du corps-machine, notre médecine néglige les aspects psychologiques, sociaux, spirituels et environnementaux de la maladie, favorisant une approche matérialiste et réductionniste des problèmes de santé.
  • Nous n’avons pas des systèmes de santé, mais de coûteux et lucratifs systèmes de prise en charge des maladies : pour le paradigme mécanistique, les problèmes de santé sont d’origine externe et requièrent donc des solutions extérieures (pharmacopée et/ou technologie). L’accent mis sur la maladie plutôt que sur le malade s’effectue en faveur des soins curatifs et au détriment de la prévention.
  • Le développement de la technologie médicale constitue l’un des aspects les plus spectaculaires du modèle biomédical de la médecine. Malgré de nombreux et d’incontestables bienfaits, elle pose des questions d’ordre économique, éthique et paradigmatique. Jusqu’où est-elle utile et à partir de quand est-elle futile?
  • Bien que peu documenté, le caractère iatrogénique de notre médecine est incontestable : les erreurs médicales, les effets secondaires de médicaments, les maladies nosocomiales, les examens inutilement invasifs compromettent la santé des patients.D’un autre côté, nos institutions de soins sont également des lieux pathogènes en raison des risques importants de burn-out qu’ils font courir aux professionnels de la santé.
  • L’organisation fragmentée de nos systèmes sanitaires reflète l’approche réductionniste appliquée par le modèle biomédical de la médecine. En d’autres termes, l’organisation sanitaire n’a pas davantage intégré les principes de la systémique que la médecine biomédicale n’a assimilé les avancées de la mécanique quantique.

Malgré les incontestables bienfaits que l’on doit au modèle biomédical de la médecine, nous devons convenir que l’approche matérialiste, mécanistique et réductionniste qui le caractérise se révèle actuellement insatisfaisante.

3. Sortir de l’impasse

Pour permettre l’évolution du modèle biomédical de la médecine - voire assurer sa pérennité - un nouveau paradigme est désormais requis qui se fonde sur une représentation holistique de la santé (processus d’adaptation et d’équilibre dynamique comprenant des phases de transformation et de transcendance) et une pratique spirituelle des soins. Désignant ce qui est de l’ordre de l’esprit, la spiritualité désigne une attention accrue à l’intériorité humaine et la recherche du sens de l’existence.

Réintroduire une dimension spirituelle dans les soins a pour corollaire de :

  • privilégier la subjectivité en lieu et place de l’approche supposément objective des phénomènes sanitaires ; explorer ce qui les touche aiderait les professionnels de la santé à donner davantage de pertinence à leur activité et à prévenir le risque de burn-out ;
  • mieux prendre en charge la douleur, phénomène systémique et holistique par excellencedont l’exploration permet d’acquérir une meilleure connaissance de son intériorité et d’établir des relations plus tendres et plus authentiques entre les êtres ;
  • redonner une place à la mort qui nous rappelle le caractère impermanent de toutes choses et confère de la pertinence à tous nos comportements ; comme la vie, dont elle est indissociable, la mort peut être perçue comme une occasion de croissance ;
  • favoriser la pratique de l’art du deuil (le traitement des pertes) qui permet de transformer le refus de ce qui est en acceptation ; en donnant un sens à ce qui s’est passé, l’art du deuil permet de tirer un profit de la maladie, au lieu de seulement l’endurer ;
  • faciliter le bilan de vie qui consiste à mettre de l’ordre dans sa vie à l’occasion d’une maladie ; le plus pénible, ce n’est pas la maladie ou la mort, c’est ce qui reste en suspens : les conflits non résolus, les manques et les regrets associés aux pertes non traitées.

Considérée comme une manifestation de bonne santé, la maladie donne l’occasion de passer du superficiel à l’essentiel, de convertir la souffrance en croissance. En nous confrontant à une perte réelle ou supposée de notre corps, elle offre une opportunité de donner un sens plus riche à notre existence. Il est même envisageable qu’une telle conception rende notre pratique des soins plus efficace et moins coûteuse.

Source : Philippe MAIRE, La Santé Autrement, Essai sur la Nécessité d’Adopter une Pratique Spirituelle des Soins, Ed. Jouvence, St-Julien-en-Genevois, 2011