Pour mener une bonne vie - et pour bien vieillir - de quoi l’être humain a-t-il besoin ? Chacun, naturellement, répondra à cette question à sa façon. En définitive, les réponses données importent probablement bien moins que la question. Il est d’ailleurs envisageable qu’il y ait autant de bonnes réponses que d’avis exprimés, et que de toute manière ces avis sont susceptibles de varier en fonction des circonstances. Ce qui était bon, juste et vrai hier ne l’est pas forcément aujourd’hui et peut le redevenir demain. Il est du reste courant que la solution d’aujourd’hui au problème d’hier devienne le problème de demain…
Pour revenir à la question, ce qui prédomine et semble finalement faire la différence, c’est la flexibilité adaptative - la résilience - qui permet de composer avec les aléas continuellement changeants de l’existence et de leur donner du sens. Ce dont l’être humain paraît avoir le plus besoin, c’est de cultiver cet équilibre dynamique - la noodynamique du survivant des camps de la mort Viktor E. Frankl - qui est l’état spontané naturel de n’importe quel petit enfant en bonne santé. Comment entretenir, voire développer cette aptitude cruciale ? En prenant soin de soi, avec tendresse et bienveillance. En vidant au fur et à mesure son sac à dos de ces cailloux que l’on collectionne sur les voies de l’existence : cheminer plus léger favorise la prédisposition à lever des yeux émerveillés vers les étoiles et ménage les articulations.
D’habitude, le burn-out est considéré comme un mal à combattre ou une maladie dont il s’agit de se protéger. Ce phénomène malheureusement très répandu - en particulier chez les professionnels de la santé - est généralement attribué à une faiblesse de caractère chez le travailleur ou aux mauvaises conditions de travail de l’entreprise. Et si le burn-out avait aussi une fonction positive ? Alors qu’on peut le voir comme un effet collatéral de la modernité ou une maladie de civilisation au même titre que l’obésité, il est possible aussi que ce phénomène ne soit pas une maladie, mais une manifestation de bonne santé. Le burn-out pourrait aussi être perçu comme un ultime signal destiné à alerter l’individu que son existence est dominée par un système de croyance dépourvu de toute flexibilité et qu’il court à sa perte. Tel serait alors le précieux message du burn-out.
Le caractère terriblement douloureux du burn-out est incontestable. Cependant, ce phénomène peut aussi être considéré comme la très utile indication d’une manière inadéquate de penser le travail et la santé. Conséquence malheureuse d’un manque de résilience, le burn-out est donc avant tout révélateur d’un vide existentiel. Enfin, rappel précieux de notre nature spirituelle, le burn-out constitue une invitation à la transformation intérieure dans un monde qui se voudrait éternellement jeune et bronzé.
Il existe quelques attitudes - la liste n’a pas la prétention d’être exhaustive - qui pourraient se révéler utiles et contribuer, le cas échéant, à prévenir le risque de burn-out autant qu’à bien vivre. Elles se présentent sous une forme holographique - chacune contenant l’ensemble des autres - et visent à préserver la flexibilité adaptative de l’être humain. A cet effet, il est préconisé de :
- développer son intelligence émotionnelle et mettre en place cet observateur interne dont la fonction est de faciliter le traitement des interpellations de manière à mieux voir ce qui se joue et à moins s’épuiser ;
- éviter de faire soi-même son malheur par une meilleure connaissance de ce cycle comportemental qui aboutit paradoxalement à renforcer les divers sentiments d’impuissance, de dévalorisation ou d’incompétence que l’on s’efforce de masquer ;
- cesser de prendre personnellement ces inévitables reproches ou jugements qui expriment essentiellement l’opinion de ceux qui les formulent ;
- faire le mieux possible au lieu de s’épuiser à tendre à la perfection, ce qui constitue une voie personnelle exigeante témoignant d’un haut niveau de responsabilité personnelle ;
- accepter que l’ordre des choses prime sur nos scénarios personnels, ce qui, à l’occasion des inévitables pertes de l’existence, ouvre la possibilité de donner du sens à ce qui arrive et de profiter de ce qui reste.
- Certes, pour bien vivre et cultiver leur résilience, les êtres humains - chacun à sa manière - ont également besoin de prendre soin d’eux dans leurs diverses dimensions constitutives :
- pour être confortable dans son corps, il est bon de prêter attention à son alimentation, à faire de l’exercice physique à sa mesure, à respecter le mieux possible son rythme biologique et à se reposer quand cela est nécessaire ;
- pour être bien dans sa tête, rien ne vaut le plaisir de la découverte et il est judicieux de gérer son stress par le moyen qui conviendra le mieux (relaxation, méditation, sport, …) et de développer son intelligence émotionnelle ;
- du point de vue social, les bienfaits d’un réseau social et familial marqué par des relations enrichissantes sont irremplaçables et ils constituent le meilleur soutien qui puisse être contre les épreuves de l’existence ;
- sur le plan sprirituel - last, but not least - il est primordial, que notre vie ait un sens - qu’il y ait une cohérence entre nos pensées, nos paroles et nos actes, par exemple - et que l’on puisse éprouver, même dans nos activités les plus ordinaires, un sentiment d’utilité ou d’accomplissement.
Ici aussi, l’attention portée à l’une ou l’autre de ces dimensions profite aux autres. Que l’on s’adonne à la méditation ou au sport peut être bénéfique à tous les plans de l’être. Rire avec des amis n’est-il pas le meilleur antidote au vague à l’âme ? On sait aujourd’hui, grâce aux progrès des neurosciences, que le plaisir et toutes les émotions agréables exercent une influence positive sur le système immunitaire, donc sur l’état de santé. Il semblerait aussi que les endorphines secrétées par le plaisir ralentissent le vieillissement de l’organisme.
Toutefois, une existence qui est faite juste pour durer n’a aucun intérêt : il est nécessaire de donner du sens à sa vie pour en faire une œuvre d’art. Aussi, de toutes les dimensions mentionnées plus haut, celle qui mérite une attention prioritaire est la dimension spirituelle. Nous pouvons constater combien la vieillesse peut être vivante et inspirante lorsque les personnes âgées sont empreintes d’un sentiment d’accomplissement. Et aussi de toutes les souffrances qui immanquablement accompagnent celles qui ont le sentiment d’avoir vécu en vain. Lorsque l’on est gravement malade, le besoin de donner un sens à sa maladie - de quelque manière personnelle que ce soit - est clairement exprimé par les patients et commence à être reconnu par les soignants. Fondamentalement, ce dont l’être humain a besoin, c’est d’éprouver un sentiment d’accomplissement, c’est que sa vie ait un sens.
En définitive, le burn-out peut être perçu comme une maladie du sens : une personne qui a un sens à sa vie ou une légende personnelle à accomplir ne fait en principe pas de burn-out. Et si elle devait contre toute attente en faire un, elle le transformerait sans doute aussitôt en opportunité de croissance.
Dans un contexte où le psychisme humain est aussi saturé que nos autoroutes un weekend de transhumance vacancière, le phénomène du burn-out est-il une fatalité ? A moins de se prendre pour une voiture, la réponse est : absolument pas ! Le burn-out n’est pas le produit d’un destin aussi aveugle que cruel. Pas plus qu’il ne se manifeste par hasard. C’est le signe que l’on est soumis à la tyrannie de ses conditionnements plutôt que d’exercer librement ses dons d’artistes créateurs. Pour l’instant…
Source : Philippe MAIRE, Petit Traité de Résilience à l’Usage des Surmenés, Vous avez dit Burn-out ?, Ed. Jouvence, St-Julien-en-Genevois, 2012